Martialité et style vestimentaire : aller plus loin [2/2]
Nous avions vu dans la partie précédente qu'il était possible de penser l'architecture de Gyappu comme la construction d'un temple.
Que cette construction suit une logique, qui n'est pas celle de rechercher à combler un manque.
Mais plutôt celle qui recherche la martialité - en privilégiant la synergie des pièces et la prise en compte de l'environnement.
C'est la clé de voûte, le ciment qui permet d'ériger l'édifice pour qu'il croisse.
Et ce malgré...
Les contraintes de la greffe
Photo de Laurent Sikirdji
Les contraintes liées au projet, à savoir marier deux systèmes ensemble - le système tailleur d'une part, et le système esthétique japonais d'autre part - ne permettent pas de faire absolument TOUT ce que l'on veut.
Parfois les exigences de l'un vont à l'encontre de celles de l'autre.
Et ce n'est pas en imposant de force les choses que cela fonctionnera.
Par exemple, essayez de rentrer la mauvaise clé dans la mauvaise serrure. Vous pouvez forcer autant que vous pouvez - ça ne marchera pas, tout simplement.
Si j'ai fixé la forme sartoriale stricte, et le fond esthétique du côté japonais, ce n'est pas pour rien.
Plume à la main, j'ai couché sur papier plusieurs modélisations possibles de ce mixage des deux systèmes ensemble. Cela m'a permis de me projeter dans de multiples possibilités - en explorant les limites de chacune.
Et la configuration choisie m'est apparue comme le meilleur compromis possible entre synergie des pièces entre elles et prise en compte de l'environnement.
- Si vous laissez trop la forme tailleur se faire envahir par le système nippon, vous la déformerez... de trop.
Pour le dire plus simplement, un occidental ne s'habille pas comme dans le Japon médiéval.
Le heurt de forme est beaucoup trop fort pour le quotidien des occidentaux car l'habit traditionnel occidental est le costume.
Aussi c'est pour ne pas déformer la forme tailleur que je ne ferai pas des vestes de entoilées avec une ceinture de kimono. Ni de noragi.
Non pas que je trouve ça moche ou inutile mais plutôt que la probabilité de choquer l'environnement est selon moi beaucoup trop haute.
Cela ne répond pas assez bien à ma recherche de martialité.
- De l'autre, si vous imposez de force (avec violence) le système tailleur à la logique de fonctionnement du fond esthétique japonais, il viendra entraver voire annihiler toute l'efficacité contenue dans le système esthétique nippon entier.
Une pensée peut donner des idées, mais elle peut aussi offrir des moyens pour imaginer et façonner des objets. Ici, il s'agit de vêtements.
A mes yeux, il ne doit pas y avoir d'un côté une philosophie et de l'autre un vêtement, que l'on greffe ensemble pour mieux vendre...
Je me sens incapable de faire ça.
J'ai beaucoup trop de respect et j'éprouve énormément de gratitude envers la sagesse du système esthétique japonais.
L'utilisation d'un concept nippon ne doit se faire qu'avec un respect de l'unité toute entière - c'est à dire en se rattachant à un ensemble d'idéaux, un langage et un fond conceptuel de principes.
Ce qui est surprenant (et logique), c'est que lorsque l'on laisse cette triade "idéaux - langage - fond conceptuel de principes" vivre, elle offre une des martialités les plus redoutables qui soit.
La logique du système esthétique japonais résulte de millénaires de cristallisation au cœur de l'archipel - elle a gagné ses lettres de noblesse par son efficacité "sur le champ de bataille".
Si vous la respectez en l’accueillant en totalité dans un autre système vestimentaire, vous retrouverez cette martialité dans les pièces.
Et c’est ce que Gyappu fait.
La chemise Hanami est très représentative de cet équilibre à trouver entre forme et fond
C'est toute cette réflexion qui m'a amené à fixer la forme et le fond de Gyappu.
C'est à mes yeux, le meilleur compromis pour rechercher la martialité quand on souhaite unir deux systèmes si différents.
Car c'est la configuration qui présente le maximum de...
Cohérence
Le cœur du méta-système de Gyappu est de chercher à chaque étape de développement d'une pièce, une cohérence avec l'édifice tout entier.
Il s'agissait de permettre à la forme tailleur de s'exprimer - sans la travestir.
Et laisser le fond esthétique japonais se déployer - sans l'entraver.
Or trouver le bon ratio, cela ne se fait pas tous les petits matins.
C'est un équilibre délicat à trouver si on veut conserver le maximum de martialité - synergie entre les pièces et prise en compte de l'environnement - tout en faisant cohabiter les deux univers.
Vous avez maintenant le cahier des charges que j'ai suivi pour la construction de ce temple.
Initialement, Gyappu est né d'un désir de greffe du système tailleur au système esthétique nippon.
Or cette union nécessitait de développer une architecture visant une martialité maximale.
Cette architecture est à la fois très simple en apparence mais aussi très complexe dans son fond.
Le méta-système de Gyappu est donc très structuré dans sa pensée et très souple dans son implémentation à l'intérieur de la forme.
Cette configuration était le meilleur compromis possible.
Car elle reposera (toujours) sur une optimisation...
De la cohérence.
Costume prototype en serge japonaise 370g, Chemise à col cutaway en chambray japonais et Kihon III
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