Commencer par les mots
« Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. »
Ludwig Wittgenstein
A - Stratégie de l’entrée
1) La problématique
Que se passe-t-il lorsque l'on rencontre un mot qui provient d’une autre culture que la nôtre ? Quand on rompt radicalement avec la langue ?
Le premier réflexe est de le traduire à l’aide d’un équivalent de notre propre langue. Mais comment fait-on si ce terme ne possède d’équivalent ? Quand notre propre culture n’a pas du tout conceptualisé cette notion inconnue ?
Deux travers sont possibles dans ce cas et ils sont profondément humains :
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On peut faire impasse dessus par manque de motivation "C’est trop compliqué et trop long à comprendre". Alors on le minimise.
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Pire, on peut mystifier ce terme. On définit une idée/un concept sur base de prémices erronés. Alors on l'exagère.
Pourtant les mots sont importants... Particulièrement quand on commence l'étude de l'esthétique japonaise.
Bien sûr, nous ne pouvons tout comprendre, après-tout personne ne comprends tout. Mais est-ce une raison suffisante pour nous empêcher d'essayer ?
2) De la méthodologie et du recul critique
Le manque de motivation est généré par un manque de méthodologie. On ne contrôle pas correctement la situation, alors on se démotive car la difficulté est trop importante pour être surmontée.
C’est parce que l’on manque de méthodologie pour appréhender l'inconnu que notre motivation est diminuée.
➡️ Investir une méthodologie adaptée, c’est réussir à reprendre petit à petit le contrôle, et donc pouvoir efficacement lutter contre le manque de motivation.
La mystification vient du désir de croire au merveilleux et du manque de recul critique sur les choses. Quoique l’on puisse lire dans la pensée japonaise, il s'agira de l'approcher en tant qu’intelligible (c'est à dire que l'on peut comprendre et ressentir).
Il suffit simplement d’accueillir cette pensée sans la minimiser, ni l’exagérer.
➡️ Si vous le faites avec bienveillance, vous êtes déjà en train de vaincre la mystification sans en avoir l'air, comme monsieur Jourdain avec sa prose.
B - Percevoir le système
Un dicton japonais dit : quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt.
Il ne faut pas croire que l'esthétique japonaise n'est qu'un vulgaire empilement de couches, construit au petit bonheur la chance.
Si on prend du recul, il s'agit de multiples éléments qui sont tous en interaction, organisés en réseau.
Elle est une convention, un agencement de savoirs et de croyances, qui fait vivre un fond conceptuel de principes :
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l'utilisation du vide,
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le jeu de l'ombre,
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l'appréciation de l'inachevé,
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la suggestion dans le non-dit,
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la contemplation de l’impermanence,
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le privilège des couleurs ternes,
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les matériaux bruts...
En ce sens, l'esthétique japonaise forme un système.
Ce système s’appuie sur un langage, qui lui permet d'organiser et de structurer son discours.
Ce langage est directement issu du fond conceptuel de principes.
Or un langage repose sur... des mots.
C - Cartographier le labyrinthe
Photographie faite par Laurent Sikirdji - Droits réservés
Dans cette section "Réflexions", je met à votre disposition ma recherche sur ce système (ses idéaux, son fond conceptuel, son langage).
Je vous propose une méthodologie possible pour le faire, en commençant par les mots.
J’espère que cela contribuera à développer votre sensibilité à l'égard de cette esthétique, et vous donnera le recul critique nécessaire pour commencer à cartographier ce labyrinthe.
En aucun cas je ne revendique que c'est la seule lecture possible de ce système. Ce que je revendique par contre, c'est que ces réflexions sont issues de références bibliographiques et de rencontres humaines. C'est pour moi le minimum syndical quand on affirme des choses sur un sujet.
Sachez aussi que je fais volontairement... cette erreur.
En effet, au Japon, donner des précisions et des explications complètes n'est pas coutume. Les Japonais apprennent énormément par l'expérience et par le ressenti : le masque commence à parler, le geste continue à dire et le silence finit par expliquer.
Pour apprécier la sagesse de cette culture, il faut aussi accepter que c'est souvent dans le non-dit que se trouve le véritable message.
Cela n'est pas inintéressant la méthode d'enseignement à la japonaise, elle propose d'autres bénéfices que l'enseignement académique à « l'occidentale ».
Cela nous invite à nous reconnecter à notre intuition et à réinvestir profondément notre sensibilité.
Même si entre ces colonnes, j'intellectualise les choses, il ne faut pas oublier qu’il faut aussi ressentir les choses.
Voire même, beaucoup plus ressentir qu’intellectualiser.
Entrer dans la pensée japonaise se fait d'avantage avec vôtre cœur qu'avec vôtre intellect.
« Le dilemme auquel nous sommes confrontés vient de ce que notre compréhension est intuitive et perceptuelle plutôt que rationnelle et logique. »
Itô Teiji - Philosophe et artisan japonais
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