Dans l'article de présentation d'
Hanami, je citais déjà
Tamaki sensei. J’ai connu son travail par
Lejeune sensei, qui m’a amené à un stage d’aïkido à Amsterdam. J’étais déjà fan de sa recherche, et j’ai eu la chance de passer entre ses mains plusieurs fois.
Hé bien... j’ai été encore plus fan en sortant des tatamis.
Ce qui m'a énormément plu dans sa pratique, c'est qu'elle se situe à la marge du monde de l’aïkido. Il n’y a rien de mystique, aucune question ne reste sans réponse, étant donné que tout est clairement expliqué/remis en contexte...
Pour moi, il est (dans cet ordre de priorité) un sensei, un confrère japanologue et un ami.
Il a eu l'extrême gentillesse d’apparaître dans la vidéo de présentation de Gyappu. Ayant grandi à Paris et sa recherche martiale l'ayant mené au Japon, j'ai trouvé intéressant de lui demander une interview, et il s'est prêté sincèrement au jeu.
Bonjour Tamaki sensei,
Comme je suis votre enseignement, je sais que l'esthétique n'est pas votre recherche première, même si elle est tout de fois présente. Pourriez vous nous dire quel relation vous entretenez avec elle dans votre pratique ?
Comme tu le sais sans doute, mon père est artiste peintre. Le beau, l’art, ont donc toujours fait partie de mon univers. Mon premier souvenir est d’ailleurs un voyage en Italie vers trois ans lors duquel mes parents et moi faisions la tournée des musées et lieux historiques. Ainsi si l’esthétique n’est pas le moteur premier de ma pratique, c’est un élément qui me touche, que j’apprécie.
Au niveau technique, tout geste beau ne donne pas obligatoirement de résultat. Mais il y a une beauté inhérente à un geste efficace. Sa simplicité, son économie et sa sophistication, lui donnent une esthétique qui ne peut être feinte. Par ailleurs, le beau apaise l’âme. Pour cette raison j’apporte une attention particulière à des choses comme la tenue, les objets de la pratique, qui semblent anecdotiques parce que n’ayant pas d’impact direct sur la performance du geste.
Enfin, je crois que la cohérence est essentielle à l’intégration des principes. Je m’astreins donc, et attends des pratiquants qui suivent mon enseignement, à un comportement et une apparence irréprochables, sur comme en dehors du tatami. Au-delà du geste, je prône ainsi une élégance du cœur.
Tamaki sensei exécutant Yonkyo omote au dojo Tenshin à Paris
Etant donné que vous organisez la nuit des arts martiaux traditionnels chaque année, vous avez eu l'occasion d'observer et d'étudier différentes esthétiques de combat (chinois, japonais, coréens, russes...). Selon vous, qu'est ce qui caractérise celle des arts martiaux japonais ?
Les traditions martiales, jeunes ou anciennes, sont fortement marquées par le contexte culturel dans lequel elles sont nées. Il y a bien sûr l’influence de l’environnement. Le type de terrain où l’on pratique, le climat local, tout cela a un impact évident sur la façon d’agir.
Mais toutes choses étant égales par ailleurs, il y a toujours un parfum particulier qui s’exprime. En ce qui concerne le Japon, il y a une recherche de simplicité, de modestie, d’épure qui lui est particulière.
Au final, si tout geste martial efficace a une beauté inhérente, j’ai le sentiment que les traditions japonaises se distinguent par leur élégance.
Crédits photo : Laurent Sikirdji
Vous avez vécu au Japon plusieurs années. D'un point de vue général et puis dans la vie de tous les jours, avez vous constaté des écarts de pensée du Beau là-bas par rapport à l'Occident ?
C’est un sujet qui touche à l’âme des peuples, et l’on pourrait probablement écrire des volumes sur la question. Je me contenterai d’évoquer trois éléments : l’intrépidité, l’uniformité, et le souci du détail.
L’intrépidité dans le rapport au beau, c’est par exemple cette capacité à s’approprier des éléments étrangers et à les réinventer sans complexes en les mariant à leur propre patrimoine. La gastronomie illustre bien cet esprit avec le tiramisu au matcha, ou les KitKat au wasabi. (rires)
C’est aussi la bravoure qui leur permet d’oser des choses parfois hasardeuses, mais qui est nécessaire à la véritable créativité. Au niveau vestimentaire cela se manifeste particulièrement chez les jeunes dans les quartiers branchés qui vibrent d’inventivité.
En parallèle il y a l’uniformité qui caractérise aussi la culture nippone. Et il suffit d’observer de bon matin le flot ininterrompu des salarymen pour voir une armée parfaitement homogène. Mais ce paradoxe n’est pour moi qu’apparent, et j’y vois un équilibre subtil de la société japonaise, qui lui permet d’avancer sans se renier, d’explorer sans se perdre.
Enfin, il y a la minutie, le souci du détail. Au Japon une phrase comme « Le mieux est l’ennemi du bien. » ne rencontrerait aucun écho car chacun songe toujours, dans chaque action, chaque création, à atteindre la perfection. Dans le Budo cette recherche constante du progrès dans le moindre mouvement, des techniques martiales à des gestes qui peuvent sembler anodins comme le salut, dégage une beauté subtile et entêtante…
La même que l’on retrouve dans la cérémonie du thé, l’ikebana, ou même la façon dont les cadeaux sont emballés dans les grands magasins.
Il y a naturellement des principes plus connus tels que le
wabi, le
sabi ou le
iki qui sont des marques de l’esthétique japonaise, mais je sais que tu les présentes déjà à tes lecteurs, et continueras à les éclairer à l’avenir.
Crédits photo : Laurent Sikirdji
Merci beaucoup pour vos réponses. Maintenant pour relier un peu l'interview au vêtement, je vous propose une petite série de questions courtes. Vous pouvez y répondre brièvement ou en développant :
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Est ce que le vêtement a façonné votre personnalité ?
Oui sans aucun doute. Ma tenue de travail est composée du dogi et du hakama. Ce sont les vêtements dans lesquels je me sens le mieux.
J’aime l’espace qu’ils offrent tout en restant élégants. J’aime aussi l’alliance de la simplicité du dogi, et de la sophistication du hakama.
Symboles d’un passé révolu mais aussi d’une éthique chevaleresque, l’esprit du bushi, les revêtir est un cérémonial simple mais efficace qui m’aide à me hisser à la hauteur de mes idéaux.
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Votre honte vestimentaire de jeunesse ?
Disons que c’est avec le recul que je me rends compte du ridicule de certaines tenues. Mais sur le moment je les portais non seulement sans honte mais avec fierté ! Il y en a eu tant…
Au collège j’ai eu une période où je portais divers éléments de tenues traditionnelles japonaises, probablement pour m’approprier ce pays si proche par mon père, mais lointain dans l’espace.
J’ai ainsi porté des getas, ou attaché un tenugui à ma ceinture. Quelques années plus tard j’ai souvent porté des chemises aux manches bouffantes et ouverte sur la poitrine comme « La Tulipe Noire ». (rires)
J’achetais ça aux puces de St Ouen. Bref, je suis passé par un certain nombre d’extrêmes qui me font sourire aujourd’hui, mais que j’ai toujours fièrement arborés sur le moment.
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Votre tenue fétiche en été, et en hiver ?
Ah, aujourd’hui je suis d’un tel banal que c’en est honteux. J’achète chaque pièce en plusieurs exemplaires, et porte toujours les mêmes tenues. Jeans en tout temps, mal coupé car je privilégie le confort et la mobilité, chemise ou T-shirt blancs l’été, et pulls noirs l’hiver.
Un grand merci pour votre sincérité et votre temps Tamaki sensei.
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