Un art ancestral dans une cravate
A - Suivre le fil d'Ariane
L'or est un matériau qui a fasciné l'Homme de génération en génération, civilisation après civilisation.
En Asie, l'or sert autant au revêtement des statues de Bouddha qu'à la fabrication des étoles de brocart que l'on retrouve autour du cou des moines.
Cependant, c'est une utilisation particulière de l’or qui nous a particulièrement touchée et vous allez comprendre pourquoi.
1) De l’or pour éclairer la pénombre intérieure
Le premier indice nous est donné dans "Éloge de l'ombre" de Junichirô Tanizaki. Il y décrit une propriété tout à fait singulière de l’or :
"Alors que l'éclat de l'argent et d'autres métaux se ternit très vite, l'or en revanche éclaire la pénombre intérieure sans longtemps rien perdre de sa brillance."
Comme très souvent avec Tanizaki, la formule est extrêmement simple mais elle arrive à tout contenir. L'or éclaire la pénombre intérieure, il est donc utile dans un moment de tristesse.
2) Support de la résilience
Si l'on suit ce fil d'Ariane, on retrouve cette appréciation de l'or dans l’art du Kintsugi (littéralement « jointure en or »).
La légende raconte que le Kintsugi serait né lorsque le shogun Ashikaga Yoshimasa aurait renvoyé en Chine un bol de thé chinois brisé pour le faire réparer. La réparation reposant sur de vulgaires agrafes métalliques, les artisans japonais auraient cherché un moyen plus esthétique pour le faire, et ont eu recours à de la poudre d'or.
Bol en Kintsugi réalisé par Myriam Greff - Crédits photo : www.kintsugi.fr
Lorsqu'un objet que nous aimons se brise, notre cœur est comme trempé dans l'acide et se remplit de tristesse. Un artiste du Kintsugi a pour mission de prendre soin de cet objet. En veillant à respecter l'histoire de l'objet, il va le réparer, le décorer de poudre d'or et lui rendre sa dignité.
En ce sens, le Kintsugi a valeur de thérapie quand il aide à traverser et sortir d'un moment de tristesse. C'est d'ailleurs une métaphore en psychologie pour symboliser la capacité de résilience (selon le psychologue Boris Cyrulnik, il s'agit de la capacité d'un individu à se remettre d'un état de stress post-traumatique).
B - Prendre le Minotaure par les cornes
Mais vous avez envie de nous dire : quel est le rapport avec des cravates ?
1) La cravate dans la pénombre
Porter le costume est une chose que l'on voit encore au quotidien. Il attire l’œil, le compliment, parfois la taquinerie. La belle chemise aussi est globalement restée séduisante. Quant aux souliers, il n'est nul besoin de porter régulièrement le costume pour apprécier la sculpture de l'objet.
Mais la cravate a perdu sa présence d'antan et son côté amusant. Elle a même disparu de certains milieux professionnels où elle était la règle autrefois. Classée dans la rubrique des accessoires, elle est jugée inutile, laissant penser que l’on pourrait s'en dispenser. Elle incarne ainsi le vilain petit canard d’une famille séduisante.
Si vous pensez que nous jouons du violon et que nous exagérons, nous vous invitons à faire l'expérience suivante : quand vous serrez dans la rue, prenez vingt hommes au hasard et comptez combien d'hommes sur cet échantillonnage, portent une cravate. Nous sommes prêts à parier que cela doit représenter 5 à 20% de l'échantillon. Prenez un cliché des années 50-60 ou même demandez à vos grand-parents, nous sommes presque certains que le pourcentage se rapproche de 80%.
2) Éroder la frontière entre l'accessoire et le bijou
Chez Gyappu, notre cœur baignait dans la tristesse. Mais l'écart japonais sur l'or nous a apporté du réconfort et du courage.
C'est avec détermination que nous avons suivi la voie de l'or pour éroder la frontière entre l'accessoire et le bijou.
a. Des tissus
Tous les tissus de nos cravates sont produits en Italie.
Soie shantung noire
Soie shantung verte à chevrons
Soie jacquard fleurie marron/bleu (selon la lumière le tissu oscille entre le bleu et le marron)
Soie jacquard rouge-bordeaux à motif hexagonal
Soie jacquard bleu canard à motifs
b. Une façon
Les cravates ont une largeur de 8 cm et le patronage est assez large pour permettre de faire facilement une goutte lors du nouage (la goutte est un effet de volume au niveau du nœud).
Elles sont confectionnées en Italie dans la région de Calabre, par un petit atelier montant encore les cravates dans les règles de l'art :
- le tissu est découpé à la main, en plein biais à 45° pour conférer à la cravate finie l'élasticité parfaite. Elle se dépliera toute seule quand vous la laisserez pendre.
- la triplure est découpée et montée à la main (Il s’agit de l’épaisseur au centre de la cravate ; nous l'avons choisis assez lourde car nous en préférons le tombé).
- le tissu est replié à la main puis cousu à la main avec un fil d'aisance. Ce fil d'aisance lui sert de colonne vertébrale pour éviter qu'elle ne vrille (dans l'univers de la cravate, on dirait qu'elle "visse").
- la cravate est définitivement fermée à l'arrière par deux points de broderie faits à la main, appelés travetto.
Le travetto est l'étape où l'on incarne une cravate. C'est grâce à ce point de broderie que la cravate est finalisée et prend vie.
Les nôtres sont réalisés avec du fil d'or. Ce fil provient d'un petit atelier français centenaire, où il est imprégné en le plongeant dans un bain d'or 24 carats ; l’atelier n'en produit qu'au compte-gouttes pour les broderies de maisons haute couture.
Un de nos travetti fait au fil d'or
Le contraste entre la brillance du fil et le tissu de cravate, permet de mieux prendre conscience du labeur nécessaire pour l'exécution de ce point de broderie. Mais le réaliser au fil d’or rend l’opération encore plus délicate, car le fil est métallique et rigide. Nous avons eu du mal à trouver l'atelier acceptant de le réaliser.
Comme vous pouvez l'imaginer, il est impossible de trouver deux fois le même vase en Kintsugi, comme vous ne trouverez jamais le même travetto en fil d'or sur nos cravates. Chaque cravate est une pièce unique, un bijou à porter autour du cou.
Les accès au savoir-faire et au fil d'or sont très limités, nous en avons fait fabriquer qu'un petit nombre (moins de 50 pièces en tout). Elles sont disponibles ici.
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